les Directeurs généraux des services départementaux, nouveaux fossoyeurs du travail social ?

En avril dernier paraissait une contribution « Action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité », co-signée par les 3 Directeurs Généraux des Services Départementaux (DGSD) de Seine-Saint-Denis, de Meurthe-et-Moselle et d’Ille-et-Vilaine et soutenue par 31 autres.

La DGS d’Ille-et-Vilaine a invité, sans grand succès (4 réponses), les personnels à contribuer au débat, via Intranet, avant la journée d’étude nationale sur le sujet prévue le 18 octobre à Levallois-Perret (92), à l’invitation de l’Association Nationale des Directeurs Généraux et Directeurs Généraux Adjoints des Régions et Départements (ANDGDGARD) .

Le syndicat SUD Départementaux 35 souhaite lui apporter son éclairage à travers une première analyse. Il publie également la contribution qu’un travailleur social de CDAS a préféré lui adresser.

Des Etats généraux du travail social au Projet Social Départemental…

tract

Souvenez-vous : en 2010, en plein mouvement de grève des CDAS, nous avions avancé l’idée d’organiser des Etats généraux du travail social pour interroger les moyens et le sens du travail social. Cette idée a vite été reprise par nos dirigeants. Coup double pour eux : ils ont obtenu la paix sociale après un mouvement d’ampleur au CG35 et ils ont fait avancer leur Projet Social Départemental, réduisant au passage le « travail social » à « l’action sociale ».

Aujourd’hui, après avoir vampirisé nos Etats généraux, la DGS et ses consorts révèlent leur stratégie : s’attaquer à la « citadelle » du travail social, qui reste un frein à la progression de l’idéologie libérale.

La crise, "nouveau" prétexte pour enterrer la solidarité

Les DGS ont la mémoire courte ! Dès 1982, le gouvernement de l’époque faisait le constat que les dépenses d’action sociale étaient exponentielles. Au-delà de la proximité qu’elle était sensée apporter, la décentralisation de l’action sociale avait bien pour objet de mieux « maîtriser » ces dépenses.

Un coup fatal aux finances locales a été apporté en 2002 par la création de l’Aide Personnalisée à l’Autonomie (APA) puis en 2004 par le transfert de la prestation RMI aux Départements. C’est à partir de 2005 que les budgets des Départements ont véritablement explosé, faute de compensations permettant d’asseoir le financement de ces prestations sur la solidarité nationale. Faut-il aussi rappeler que lesdits Départements avaient souhaité, lors des débats ayant précédé la mise en œuvre de l’APA, s’en voir confier la charge !

La crise, qui a bon dos, n’est pas une fatalité mais le produit des choix libéraux effectués par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, dans un contexte de mondialisation. Depuis 10 ans, nos gestionnaires "de gauche" se défaussaient sur la politique Sarkozy pour justifier leurs choix. Aujourd’hui, leur formation politique détient quasiment tous les pouvoirs : pour quel changement ? A défaut d’une réforme fiscale ambitieuse, permettant de financer une cinquième branche de la sécurité sociale pour prendre en charge la dépendance, les dépenses d’APA à charge de Départements vont continuer d’exploser. La faute aux travailleurs sociaux ??

Et pour ne pas en rajouter, nous n’épiloguerons pas sur les emprunts toxiques type DEXIA, qui plombent les finances locales …

Un discours « réchauffé » sur l’Etat Providence

La solidarité nationale instituée par l’Etat social est une alternative à l’individualisme libéral qui prévalait. Les formes d’assistance antérieures (famille, charité) sont devenues moins indispensables car plus limitées que celles, nationales et républicaines, qui les ont relayées et complétées. Et c’est la mise à mal de cette solidarité nationale par le néolibéralisme qui entraîne un regain d’individualisme. L’attribuer à l’Etat social, comme l’avancent les DGS, est une contre-vérité et tient d’une curieuse méconnaissance de la construction de nos institutions républicaines !

Notre modèle de protection sociale, fondé sur la socialisation du risque, date de la fin du XIXe, pas de l’après-guerre. Et ce n’est pas l’essor des Trente glorieuses qui rend viable financièrement la protection sociale comme on le lit encore, mais celle-ci au contraire qui contribue à la croissance.

L’offensive libérale ne date pas d’aujourd’hui. Dès 1981, Pierre Rosanvallon, penseur successif de la CFDT, du PSU et du PS, puis du courant « La République des idées (avec les soutien financier de grandes entreprises [Altadis, Lafarge, les AGF…]) discourait sur « la crise de l’État-Providence ».

Depuis, les politiques dites « sociales » mises en œuvre ont largement contribué à mettre à mal notre système de protection sociale, accentuant ainsi les inégalités et la pauvreté ! L’enjeu pour l’idéologie libérale est bien de la transformer en produits marchands au profit du secteur privé. Il est quand même curieux que ce qui coûte si cher à nos collectivités soit néanmoins la proie des assureurs, des fonds de pension, etc.

Vive le social libéralisme !

Sur les 34 Départements dont les DGSD sont signataires de la contribution, 31 sont dirigés par le PS ou une alliance PS/PCF ou PS/PRG/EELV (Paris). Un est dirigé par le PRG allié au PS et un autre par le PC allié au PS. Un seul est dirigé par... l’UMP (Marne). Devinez qui a influencé les autres !

Blague à part, il est difficile de croire que ces Directeurs Généraux ont signé le texte sans l’aval de leurs Présidents... Si tel était le cas, c’est inquiétant car ils sont tout de même engagés sur des emplois fonctionnels pour mettre en œuvre des orientations politiques définies par les élus. Dans le cas contraire, ce n’est pas moins préoccupant de voir ceux-ci abandonner le champ du social à la haute administration.

Des usagers « insuffisamment mobilisés et donc déconsidérés »

Selon les DGS, il faudrait "changer le regard des travailleurs sociaux sur les usagers (ne plus les percevoir comme « victimes ») pour qu’ils puissent se mobiliser". Dans un contexte économique où la barre des 3 millions de chômeurs vient d’être officiellement franchie, il faut oser l’écrire !!!

Le plaidoyer pour la prise de risque individuel prend tout son sens dans l’éloge du tournant libéral québécois, lequel s’honorerait, la protection de l’enfance pour exemple, d’avoir « diminué d’environ 50% le nombre de ses placements en 20 ans, sur la base notamment de ce pari sur les compétences parentales ». On peut dans cette logique revenir sur la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans et diminuer de 50% l’échec scolaire !

Mais l’étude ne précise pas si, dans le même temps, la maltraitance a diminué et si la situation sociale de la jeunesse s’est améliorée sur du long terme. En Ille-et-Vilaine, ce n’est pas tant la recherche d’une meilleure réponse aux usagers qui a motivé la recherche-action en cours sur les alternatives au placement. A moyens constants, il s’agit bien de faire des économies et donc de rentrer dans une logique de chiffres, pour une rentabilité à court terme.

Heureusement, ce ne sont pas las « payeurs » mais encore le juge qui décide du placement au regard de la situation de danger encouru par l’enfant. Et ce tant que la fonction de juge des enfants n’a pas été démantelée, comme le souhaitait Sarkozy !

L’égalité des chances est une machine à nous faire croire que la société offre une égale opportunité et que nous sommes seuls responsables de notre situation. C’est le modèle américain du « Land of opportunity » ! Mobiliser les ressources des usagers pour qu’ils accèdent à l’autonomie, c’est bien le sens su travail social. Mais celui-ci ne peut faire abstraction d’un contexte socio-économique soumis à une très forte hausse de la pauvreté qui constitue un tournant dans l’histoire sociale de notre pays depuis les années 1960, selon l’Observatoire des inégalités. Et la responsabilité en incombe bien aux politiques qui font le choix du libéralisme, pas à ceux qui en paient tous les jours le prix fort.

Du travailleur social au « coach » !

Tout au long du texte, les DGS entretiennent la confusion entre « action sociale » et « travail social ». Ils s’approprient le vocabulaire du social en le détournant. Ils réinventent la poudre et auraient fait un tabac avec des propositions innovantes… dans les années d’après-guerre, quand les assistantes sociales ont abandonné la jupe plissée !

En effet, des générations entières de travailleurs sociaux ont été formés à l’accompagnement social, au travail à l’autonomie des familles, à l’approche globale, au contrat, au travail collectif voire communautaire (avec déjà un modèle : le Québec !). Et c’est bien l’empilement des dispositifs d’action sociale, en particulier depuis la création du RMI, qui les a cantonnés progressivement dans un rôle d’accès aux droits, dépossédés de leur capacité d’évaluation dans une approche globale des usagers et enfermés dans la mise en œuvre de procédures.

Travailleurs sociaux ou gestionnaires de l’action sociale ?

Les travailleurs sociaux seraient donc trop formés sur des « problématiques de réparation » et pas assez sur les politiques de développement social ! Quelle méconnaissance de la formation passée et actuelle !

Pire encore, les DGS remettent en cause l’existence même des formations généralistes des travailleurs sociaux. Sous prétexte que les Départements sont « chefs de file de l’action sociale », la formation devrait être orientée sur le fonctionnement institutionnel et les finances publiques ! Quid des autres employeurs, institutionnels, associatifs et même privés ?

Quelle absurdité ! Est-ce que ces mêmes DGS se mêlent de savoir ce qu’il est pertinent d’apprendre dans les formations d’ingénieur ou les multiples formations universitaires qui mènent à la carrière d’attaché ou d’administrateur ?

Il y a, de plus, une incohérence entre un discours de responsabilisation des usagers et le cantonnement des travailleurs sociaux à des tâches de gestionnaires de dispositifs.

Les travailleurs sociaux, dans leur pluralité de formation, doivent demeurer plus que jamais forts du savoir-faire et du savoir-être qui sont indispensables à leurs professions. Le risque est d’oublier que le diplôme doit former à l’exercice d’un métier, touchant à la vie même des personnes auprès desquelles il s’exerce, et pas seulement à un cursus universitaire !

Remise en cause du secret professionnel = une véritable provocation

Le serpent de mer que l’on croyait noyé depuis les tumultes provoqués par le projet de loi de Sarkozy sur la prévention de la délinquance en 2004 refait surface !

En effet, l’un des reproches communément faits aux travailleurs sociaux touche au secret professionnel, à la déontologie et à l’éthique. Comme si la dimension collective du travail social était incompatible avec leur respect. Rappelons que le secret professionnel protège la personne et non pas le professionnel comme on le laisse entendre trop souvent… Les travailleurs sociaux ne se réfugient pas derrière le secret professionnel, ils y sont astreints sauf dans les cas où la loi prévoit de le lever. La rupture du secret professionnel peut être sanctionnée pénalement. Les préconisations des DGS vont à l’encontre de la loi.

Même si cela peut leur paraître contradictoire avec les intérêts immédiats de l’usager - ou de la collectivité - il en va des libertés individuelles de laisser aux usagers la maîtrise des informations qu’ils souhaitent communiquer. C’est la base de la relation de confiance que les travailleurs sociaux instaurent. La relation d’aide qu’il construit permettra à l’usager d’avancer dans sa problématique, à son propre rythme, mais de manière plus solide et plus durable. Vous avez dit « responsabiliser l’usager » ???

Mais les DGS doivent avoir du mal à le comprendre à travers leur culture d’entreprise frappée du syndrome "le savoir, c’est le pouvoir donc je le garde pour moi" !

Sacro-saint Management !

Pour couronner le tout, le management des équipes sociales serait « trop souvent confié à un cadre issu du rang » mis en situation d’encadrer sans réel accompagnement !

Après avoir sacralisé la fonction de responsable CDAS à travers les primes ou les promotions dans le cadre d’emplois d’attaché, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine fait le constat que, finalement, ils seraient nuls. A moins que ce couplet ne s’applique pas à notre Département ??? Il y a là encore une contradiction entre le fait de montrer du doigt les professionnels issus du terrain et les projets de réorganisation des CDAS dont la taille a été pointée comme une difficulté pour un encadrement de proximité. En effet, les personnels de PMI passeraient sous l’autorité hiérarchique des médecins de PMI et ceux de l’Aide Sociale à l’Enfance sous celle des Responsables Enfance Famille ! Cherchez l’erreur !

La gestion managériale supplante progressivement celui de la recherche et de la transmission. Avec la mise en place des agences, c’est la toute-puissance managériale qui a fait son lit. Soumises à cette logique, les agences servent la normalisation forcée des pratiques pour mieux les contrôler, pour transformer le social avec des objectifs de performance, de rentabilité, des exigences de réduction des coûts. Les cadres intermédiaires, « issus du rang », n’ont pas besoin d’un accompagnement managérial mais d’une protection contre la brutalité des directives et des conditions de travail qui en découlent : l’obéissance toujours requise sans discussion, la soumission à des consignes ou à des procédures absurdes, bien souvent inapplicables (et qui demandent par conséquent de prendre sur soi pour les transgresser) et pour finir le mépris… Ces méthodes brutales finissent par rejaillir sur l’ensemble des personnels : en témoigne le mal-être actuel des équipes auquel la collectivité tente de répondre par les « coachings » ou les supervisions.

« En déniant les formes antérieures de savoirs et de responsabilité des professionnels, la culture managériale dominante expose en réalité tout le social organisé au risque d’une sérieuse régression intellectuelle. » (Michel Chauvière- 2011)

L’élaboration du Schéma Départemental de l’Aide Sociale à l’Enfance en est une illustration. A aucun moment les professionnels de terrain ne sont associés, ni directement ni même par l’intermédiaire des responsables ou conseillers techniques qui ont pour consigne de ne pas divulguer le contenu des réunions.

En conclusion (provisoire !)

Ce texte est une attaque en règle de ce qui fonde le travail social et la solidarité : une vision à l’envers de la réalité arguant que l’Etat social engendre l’individualisme, que l’intervention sociale dépossède l’usager de ses ressources, que la formation est basée sur des concepts obsolètes (secret professionnel, accompagnement…), bousculant au passage ceux de la solidarité, de la responsabilité, avec toujours plus de gestion comptable et de contrôle social. Il s’inscrit dans une logique que notre syndicat combattra avec force.

Le texte prétend parler de la pratique des travailleurs sociaux mais fait totalement l’impasse sur ce qui fonde le travail social, en se limitant à l’action sociale.

Or, « Le travail social n’a pas pour seule mission de mettre en œuvre au profit des usagers les diverses politiques sociales ; il est au service des usagers des dispositifs sociaux qui traduisent l’action sociale, et non pas au service des dispositifs sociaux mis à la disposition des usagers (…) l’action sociale ne saurait enfermer le social. » (ASH- 26 janvier 2005)

C’est également ce que les travailleurs sociaux et médico-sociaux regroupés dans ABREASS (Association en Bretagne pour la Réflexion, l’Etude et l’Analyse des champs de la Santé et du Social) analysent sous le regard d’une double légitimité (Contrepoint n°2- janvier 2012).

Pour SUD, il faut revenir à un véritable travail de prévention qui implique de disposer de temps pour analyser les situations individuelles ou collectives avant de proposer un accompagnement, une aide, un soutien, une protection. Sans être péjoratifs vis-à-vis de l’action bénévole ou de celle de professionnels aux champs d’intervention différents, nous voulons affirmer que ce qui fait la spécificité du travail social en regard de l’action sociale, c’est justement la capacité à mettre les situations en perspective en tentant de rendre les personnes plus responsables. Or, lorsqu’il y a saturation, il est plus difficile de faire la part des choses, de dégager ce qui est prioritaire, de laisser du temps au temps pour ne pas faire à la place des gens. La méthode n’est qu’un outil et non la finalité. Les procédures ne doivent pas tuer l’initiative et faire des travailleurs sociaux et médico-sociaux des exécutants, des guichetiers, des enquêteurs, leur faisant ainsi perdre de vue la nature du service à rendre à la population. Il en est de même si la contractualisation est forcée pour obtenir un logement ou une allocation, pour éviter d’aller au tribunal.

La satisfaction des procédures et des dispositifs prend le pas sur l’accompagnement des personnes, et il est grand temps d’inverser la tendance. C’est ainsi que les travailleurs sociaux retrouveront ainsi de la fierté à exercer leur métier au sein du service public.

Ne nous laissons pas enterrer !


Contribution d’un travailleur social du CG35 sur le texte des DGSD

Joli tour de passe-passe sémantique, mais ça ne prend pas

contribution

Derrière les mots, il y a des idées, et derrière les idées, il y a une idéologie. Ainsi, pour aller au-delà de la forme de ce texte, j’invite chacun à une relecture à plusieurs niveaux, et à se poser des questions de fonds.

Premier niveau : les mots

Par rapport aux années précédentes, et notamment avant les états généraux, on voit dans ce texte un changement de vocabulaire. En effet, on pourrait croire et se féliciter, en lisant les constats évoqués sur la crise, le burnout des travailleurs sociaux, la multiplication des dispositifs, la perte de sens et la nécessité de faire évoluer l’action sociale, que tout le monde est enfin d’accord. Ce texte apparaît donc consensuel au premier abord, mais ce consensus n’est qu’apparent.

Deuxième niveau : les idées

Ce texte place d’emblée la contrainte budgétaire, comme une chape de plomb sur tout ce qui va suivre. En ce sens, le discours ne change pas par rapport aux années précédentes.

Ensuite, on nous explique, à l’appui d’un vocabulaire sociologique, que la montée de l’individualisme aboutit à la baisse des solidarités privées (qu’on appelle « de proximité), ce qui entraîne une augmentation des droits et de leurs dispositifs inhérents, ce qui entraîne par la suite une déresponsabilisation des usagers. De ce fait, cela coûte de plus en plus cher et les travailleurs sociaux ne deviennent plus que des distributeurs d’aides sociales.

Aussi, afin de casser cette infernale spirale qui mène tout droit au tant honni « assistanat » très onéreux, on propose de responsabiliser l’usager, de s’orienter plus vers le développement social local, et de revoir la formation des travailleurs sociaux qui, décidément, ne comprennent rien à l’organisation administrative, sont nuls en conception d’actions collectives, et s’accrochent à leur désuet secret professionnel comme des berniques à leur caillou.

Ne critique t’on pas les pratiques professionnelles en les qualifiant de « normatives » ? Il va falloir que cela cesse !

Je tiens ici à rappeler trois choses importantes.

1 - Ce n’est pas parce que la formation et l’éthique a évolué vers des pratiques normatives que les travailleurs sociaux perdent le sens de leur travail en appliquant des dispositifs. Ce serait plutôt l’inverse. C’est la multiplication des dispositifs et de leurs réglementations inhérentes qui empêche les travailleurs sociaux de se consacrer à l’appui des compétences de l’usager dans une relation d’aide réhumanisée.

2 - Pas une seule fois, dans ce texte fait pour les travailleurs sociaux, je n’ai lu les mots « relation d’aide, ou relation humaine ». Alors que c’est le cœur du métier. Par contre, le secret professionnel y est considéré comme un frein au développement d’actions collectives et au partenariat. C’est bien mal connaître les travailleurs sociaux que cette désolante réduction, car sans secret professionnel, pas de relation d’aide.

3 - L’action collective, le développement social local, le partenariat, et la connaissance des politiques sociales sont intégrés à la formation depuis la réforme du diplôme de 2004. Cette formation dure trois ans, et le niveau, le nombre d’heures de formation requis, est aujourd’hui largement atteint pour reconnaître un niveau de licence.

Ce texte a donc malheureusement tendance à proposer une vision très/trop réductrice de nos métiers, les limitant à des compétences d’action alors que l’essentiel se situe du côté des savoirs être. D’où l’importance de maintenir une vraie formation en alternance couplée à un niveau d’exigence universitaire en ce qui concerne les connaissances théoriques. Les IRTS le font déjà, et ils ne sont pas là pour former de futurs agents des collectivités territoriales, mais des travailleurs sociaux, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Troisième niveau de lecture : l’idéologie

Voici quelques points du texte sur lesquels je m’interroge quand à l’idéologie véhiculée.

D’un côté, l’individualisme est déploré, car responsable, par effet d’induction, de l’augmentation de la dette publique. De l’autre côté, on préconise une redéfinition des dépenses publiques en faisant appel à la responsabilité individuelle de l’usager pour gérer sa vie. L’individualisme est pris ici comme un état de fait, et s’il est contradictoirement cité comme le problème et la solution, c’est qu’il n’est probablement ni l’un ni l’autre.

La contrainte financière qui découle de la crise est aussi prise comme un état de fait. Il faut s’y adapter ou mourir. Ce qui revient à faire plus avec moins. Or, quand un écrit, rédigé par des autorités reconnues par les lecteurs, expose un problème et sa solution en disant « il faut », on a du mal à la remettre en question et à chercher plus loin. N’y a-t-il pas d’alternatives ? La résistance, l’innovation ? N’est-il pas possible de repenser l’action sociale sur un territoire à partir d’un point de vue différent ? Peut-on envisager un réel effort sur la prévention comme un investissement sur le futur ?

Les usagers sont devenus des consommateurs de droits, ce qui mène tout droit à l’assistanat. La responsabilisation de l’usager consisterait donc à faire en sorte qu’il n’ait plus besoin de l’intervention publique, mais pour arriver à cela, il faut passer par le partenariat et l’action collective. Quelle considération apporte-t-on dans ce cas à l’individu, si on le considère d’emblée comme un profiteur, ou si on l’accompagne seulement par crainte qu’il n’en devienne un ?

Le développement social local doit pouvoir répondre aux exigences et aux besoins des acteurs économiques locaux pour traiter les causes des dysfonctionnements sociaux. Faut-il donc tendre à adapter l’action publique à la demande privée ?

De même, faut-il impérativement adapter la formation des travailleurs sociaux aux exigences de collectivités territoriales qui sentent qu’une profonde mutation s’impose à elle ? Ou bien faut-il conserver une indépendance de pensée et d’action pour les travailleurs sociaux car elle est constitutive de l’établissement d’une réelle relation d’aide à l’usager ?

Toutes ces questions peuvent prendre une dimension fortement idéologique et politique. La réponse n’appartient ni aux auteurs de ce texte, ni à ceux qui le lisent. Elle appartient à tous, et particulièrement aux élus qui, même s’ils ont le pouvoir de décision en dernier lieu (et ils ont été élus pour cela), doivent pouvoir entendre l’expression de tous les points de vue.